Coaching, maïeutique et εἰρωνεία

Intuitivement, mes souvenirs anciens de mes cours de Grec m’ont amené à faire le lien entre la technique du coaching et la pratique socratique de la maïeutique.  J’ai constaté que, bien entendu, beaucoup avaient opéré ce rapprochement avant moi – parfois de manière profonde, parfois caricaturale aussi. Je partage avec vous quelques réflexions sur ce thème sans prétendre l’épuiser.

La maïeutique se définit généralement comme une méthode de questionnement d’un individu destinée à faire émerger une connaissance qu’il a en lui mais dont il n’a pas conscience.  Le questionnement vise en premier lieu à susciter le doute dans l’esprit de son interlocuteur en éprouvant ce qu’il croit savoir.  En effet, s’il est convaincu qu’il détient un savoir, il sera peu enclin à s’ouvrir au questionnement véritable.  Or, le citoyen de l’Athènes antique, tout comme le client du coach, sait en tout cas une chose : la vie qu’il mène lui pose des difficultés et il n’aperçoit pas de solutions.  Il est disposé à effectuer une démarche vers un tiers  (Socrate ou un coach plus modeste) mais il est encore enfermé dans des certitudes, le plus souvent inconscientes.  La démarche socratique, comme celle du coach, va dès lors viser à faire émerger le doute en lui; en coaching, on dira que l’on s’attache à ramollir ses croyances limitantes. La démarche du coach consiste en un questionnement invitant le client à comprendre, relativiser et bousculer ces croyances pour prendre conscience de leur statut de croyance – et non de vérités intangibles. Une fois cette démarche entreprise, l’espace est alors ouvert pour accueillir d’autres croyances, libératrices celles-ci.

Mais ces nouvelles croyances appartiennent tout entières au coaché. Et c’est là un autre point commun entre la maïeutique et la démarche du coaching.  Le questionnement ne vise pas à amener son interlocuteur à prendre conscience d’une vérité que le coach ou le philosophe détiendrait.  Il a pour but de lui permettre de découvrir en lui les solutions à ses difficultés. Le coach ignore tout de ce qui va émerger, même s’il est évident que l’expérience lui permet de dégager certaines récurrences.

A cet égard, la lecture de certains dialogues socratiques peut éveiller un soupçon de manipulation : Socrate éveille-t-il la conscience de son interlocuteur ou l’amène-t-il à se rallier à sa propre conception du monde?  C’est à ce stade qu’entre en jeu l’εἰρωνεία, que traduit très imparfaitement le terme français « ironie », et qui signifie le fait de feindre l’ignorance.  Socrate maniait l’εἰρωνεία  comme un support de son questionnement: il connaissait les réponses aux questions qu’il posait et interrogeait son interlocuteur jusqu’à l’amener à la conclusion qu’il considérait lui-même comme juste.

S’il est adéquat pour le coach de pratiquer la maïeutique, il doit sans doute se montrer circonspect dans le recours à l’εἰρωνεία. En effet, le piège qui attend le coach consiste à vouloir imposer son savoir – ou du moins ce qu’il croit savoir – à son client.  La première vigilance pour le coach, s’il souhaite se maintenir dans sa posture, doit donc se porter sur cette tendance, pour une part inconsciente, à désirer amener son client à partager la solution que le coach entrevoit à ses problèmes.  L’ego du coach peut en effet subrepticement insuffler de l’induction dans son questionnement.  Or la véritable progression du client consiste pour lui à prendre conscience de ses compétences et ressources propres, et non de voir à quel point son coach est empli de sagesse ! La conscience que le coach a de ses propres croyances constitue sans doute un outil au service de sa vigilance contre cette tendance.

Certains commentateurs de Socrate ont décrit la maïeutique comme un exercice d’humilité.  Non sans une certaine ambiguïté, Socrate mettait lui-même en avant le fait que son véritable apprentissage avait été de savoir qu’il ne savait pas, à la différence de ses grands ennemis les sophistes qui, à ses yeux, étaient ignorants mais convaincus de leur sagesse.

Il n’en va pas différemment du coach: l’une de ses grandes qualités sera de partir de l’idée qu’il ne sait rien de son client et que celui-ci seul sait ce qui est bon pour lui dans la situation qu’il vit.  Et cette posture d’humilité constitue à mes yeux l’un des apprentissages essentiels du métier de coach.

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