Entre cohérence et pertinence, faut-il choisir?

Les biais cognitifs nous empêchent de « voir la réalité en face » dans sa complexité. Couplés à des croyances limitantes, ils nous amènent à agir de manière stéréotypée et souvent inadéquate. Quelques réflexions sur le biais « de confirmation. »

Si je vous invite à choisir entre ces deux définitions de la « compétence », quel serait le choix le plus probable:

  • est compétente la personne qui s’entoure du plus grand nombre d’informations disponibles, prend en considération celles qui sont éventuellement contradictoires, pour opérer le choix le plus pertinent dans des circonstances données;
  • est compétente la personnes qui reste sur la ligne de conduite et assure ainsi une démarche cohérente, quand bien même les informations disponibles commanderaient d’en changer?

Je suppose que votre choix « rationnel » vous amènera à préférer la première défintion. Et pourtant, dans la vraie vie, nous avons tendance à nous comporter selon la seconde définition. La cause en est le biais cognitif dit « de confirmation ».

Il s’agit d’un mécanisme qui guide inconsciemment notre perception de la réalité et, en conséquence, nos prises de décision. Ce biais consiste à ne retenir, dans un flot d’informations, que celles qui sont de nature à confirmer une hypothèse de départ. Il repose au premier chef sur une réalité physiologique qui impose au cerveau de sélectionner certaines informations devant son incapacité à les traiter toutes dans leur quantité et leur complexité.

Face à une situation problématique, nous devons donc opérer un choix dans les informations que nous allons retenir comme pertinentes, sous peine d’être paralysés dans l’action. Les mécanismes sous-jacents à ce processus ne sont pas toujours très clairs. Il paraît certain toutefois que ces choix sont guidés:

  • par l’accessibilité et la fluidité de l’information: plus une information est aisément disponible, plus il est probable que nous la retenions;
  • par la conformité de l’information avec nos croyances préexistantes: nous ferons le choix de la cohérence interne entre les informations dont nous disposons et notre perception du monde.

Contrairement à ce que nous pensons, nous sommes donc spontanément très peu rationnels dans ces choix. La rationnalisation constitue un processus secondaire qui vise à justifier notre opinion et assurer la cohérence de notre système de pensée. Ainsi, je trouverai très souvent, dans l’information disponible, celle qui me permet de passer pour quelqu’un de sensé auprès de mes interlocuteurs. Dans un monde qui fait prévaloir une telle pensée de nature rationnelle – voire scientifique -, je me montrerai capable, arguments à l’appui, d’étayer mon opinion et ma décision. Dans ce contexte, il est prudent de ne pas se fier à un discours uniquement parce qu’il se drappe des atours de la science. Un raisonnement peut avoir l’apparence d’une démarche scientifique tout en étant infesté de biais de confirmation puisque celui-ci aménera l’individu à choisir dans une panoplie d’information apparemment d’égales valeurs celles qui étayent sa position initiale, et à rejeter les autres.

Les dangers du biais de confirmation

Au-delà des situations que je rencontre en coaching, j’ai souvent constaté ce type de comportements dans l’activité policière et judiciaire. Le biais de confirmation présente évidemment d’autant plus de danger que l’individu concerné exerce des responsabilités susceptibles d’avoir un impact collectif. Ainsi, lorsqu’un enquêteur a « l’intuition » qu’une personne est coupable, sa recherche de preuves va automatiquement s’orienter vers la découverte de toute une série d’éléments qui vont confirmer cette hypothèse.

L’enquête véritablement « à charge et à décharge » nécessite sur un plan individuel une grande discipline et une bonne connaissance de soi et, sur un plan collectif, le partage des responsabilités dans les prises de décision afin d’assurer la confrontation des opnions. Cette dernière dimension ne fonctionne toutefois que pour autant que parmi les personnes impliquées dans la démarche, un nombre suffisant soient susceptibles d’avoir une opinion différente de celle qui est initialement envisagée. Il existe en effet une dimension collective au biais de confirmation de sorte qu’un grand nombre d’individus peuvent ensemble y verser, avec, paradoxalement, un effet de renforcements réciproques.

Nous assistons encore tous les jours à la manifestation du biais de confirmation dans le chef de personnalités politiques ou économiques, ou même dans le monde scientifique. La rhétorique fourmille d’ailleurs de solutions discursives susceptibles de dissimuler ce biais sous le masque de la rationnalité.

Sauf les cas de manipulation consciente, la personne aux prises avec un biais de confirmation est généralement de bonne foi. Les arguments rationnels à l’encontre de sa position ont peu de chance de la convaincre d’en changer.

Il est très difficile de s’extraire de ce biais dès lors que, par définition, nous sommes généralement aveugles à son existence. Plus notre désir inconscient de paraître cohérent aux yeux du monde et à nos propres yeux est important, plus il est malaisé pour nous d’intégrer une information qui ne colle pas à notre vision de la réalité et, surtout, qui risquerait de provoquer un changement dans notre ligne de conduite. Très souvent, le changement de décision est perçu comme un signe d’incompétence et la dernière chose que nous voulons consiste précisément à être perçus comme tels… Cette perception de nous-mêmes comme incompétents si nous changeons de ligne de conduite repose également sur une croyance limitante: je me considère moi-même comme incompétent si je change d’avis, et je porte le même regard sur les autres. Il est utile dans ce contexte d’approfondir la notion « d’incompétence »: qu’est-ce qui se cache derrière ce mot; avez-vous déjà eu l’impression d’être incompétent; aux yeux de qui; qu’est-ce qui s’est passé pour vous à ce moment-là, etc…? Par ce questionnement, nous pouvons réaliser qu’il existe mille manières d’être incompétent et surtout que derrière une première croyance quant à l’incompétence peut se cacher une autre idée de la compétence. Ce processus est intimement lié à l’image de soi: je suis attaché à l’idée de paraître cohérent et commettre un faux pas dans ce contexte suscite un sentiment de culpabilité, voire de honte.

Nous pensons souvent que changer de ligne de conduite constitue l’aveu d’une erreur de jugement. Or, rien n’est moins vrai. Prendre le temps de regarder la réalité telle qu’elle est et, au besoin, changer de stratégie, cause souvent moins de dégâts que persister dans une stratégie qui repose sur un déni de réalité.

Il ne s’agit ici que d’effleurer ce thème, tant il est vaste et mériterait des développements plus amples. Ces quelques réflexions peuvent toutefois vous inviter à une prise de distance par rapport à certaines de vos décisions, passées ou actuelles. Posez-vous simplement la question: quelle information aurait pu me faire changer d’avis?

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